dimanche 27 janvier 2008

L’industrie pharmaceutique est malade

Il y a une dizaine de jours, le réputé New England Journal of Medicine déclarait que les études scientifiques ne font aucune mention de presque la totalité – 89% - des résultats négatifs obtenus en laboratoire. Dans l’édition du Devoir du 18 janvier dernier, on reprennait la nouvelle et on nous rappelait que « … les antidépresseurs ne seraient pas aussi efficaces que ce qui est rapporté dans la littérature scientifique, où ne sont publiées en général que les études ayant abouti à des résultats favorables au médicament… ». Les manufacturiers sont montrés du doigt, les impacts sont considérables : « …il s'agit d'une forme de désinformation trompeuse qui peut inciter les cliniciens à prescrire en toute confiance un médicament alors qu'ils devraient demeurer très vigilants... ». Les experts de la Food and Drug Agency ne sont pas les seuls coupables dans cette néglicence. Est-il nécessaire de rappeler que les lobbyistes du monde pharmaceutique ont une très grande influence auprès de l’agence de réglementation? Entre 1997 et 2002 seulement, le monde pharmaceutique et médical a dépensé près d’un demi-milliard de dollars en activités de lobbying à Washington…

Du même coup, la Commission européenne a lancé cette semaine une enquête sur les grands laboratoires pharmaceutiques « …soupçonnés d'entraver la concurrence afin de retarder la commercialisation de produits novateurs et génériques. L'enquête vise à déterminer si les entreprises n'ont pas outrepassé l'interdiction faite par le traité, de pratiques commerciales restrictives. Sont notamment visés les règlements de litiges liés aux brevets. L'enquête vise également à s'assurer qu'aucun obstacle artificiel à l'entrée sur le marché, n'a été érigé. La commission soupçonne enfin l'utilisation abusive des droits de brevet, par des procédures contentieuses passibles d'un abus de position dominante.».

Pendant ce temps au Québec, les grands défenseurs du libre-marché ne cessent d’exiger l’amaigrissement de l’état et le transfert de la réglementation du commerce directement vers l’entreprise privée. Certains penseurs de la droite croient effectivement que le marché peut se surveiller lui-même et apporter des normes qui encadreraient judicieusement les activités du commerce libre. Un des invités au débat sur la pertinence du mouvement de gauche, diffusé le 11 janvier dernier à Télé-Québec, n’est jamais à cours d’arguments pour défendre une économie forte et responsable, complètement autonome devant un état réduit au maximum. Sur les pages du blogue libertarien « Le Québécois Libre », M. Martin Masse affirme que « …ce contrôle étatique a toujours été inefficace… les bureaucrates planificateurs n’ont tout simplement pas à leur disposition toutes les informations dispersées dans l’esprit de millions d’acteurs économiques qui leur permettraient de prendre les décisions appropriées… »

C’est justement ce que la Commission européenne et le plus grand journal médical reprochent à l’industrie pharmaceutique : le manque de transparence. On imagine fort bien l’importance des excès si les agences publiques ne seraient pas impliquées dans le processus de certification et de mise en marché des médicaments! C’est de la santé des citoyens dont il est question ici, pas de distribution de spiritueux ou de billets de loterie!

Les enjeux économiques autour de cette industrie sont plus grands que nature. Depuis plusieurs années, les grands manufacturiers avalent les plus petits et on ne sait pas quand va s’arrêter la vague de fusions des principaux laboratoires. Si ça continue comme ça, il ne restera que deux ou trois grands joueurs qui contrôleront la presque totalité des brevets pharmaceutiques! On me répondra peut-être que cette industrie occupe une place privilégiée dans l’industrie boursière, car elle génère - année après année - des profits faramineux qui font le bonheur des investisseurs. Je veux bien croire qu’il faut créer de la richesse, mais lorsqu’une industrie aussi importante que celle-là ne semble pas se précoccuper des effets néfastes de ses produits ou qu’elle ne veut pas coopérer à la distribution de médicaments dans les pays en voie de développement, il est primordial que les gouvernements s’en mêlent! Grâce à ses profits extraordinaires, l’industrie pharmaceutique contribue à faire fructifier les avoirs de ses dirigeants et des grands investisseurs, mais la rationalisation de ses opérations n’apportent absolument rien à la richesse collective. Est-il normal que les profits de 10 entreprises pharmaceutiques équivalent ceux dégagés par les 500 plus grandes compagnies américaines? Des dizaines de milliers d’emplois ont disparu depuis les dernières années et pendant ce temps, les dirigeants s’en mettent plein les poches : en 2002, le président de Bristol-Myers-Squibb récolte un salaire de 75 millions et celui de Wyeth empoche 40 millions. Les travailleurs et les citoyens n’y gagnent absolument rien.

Il est vrai, comme le fait remarquer à plusieurs reprises M. Masse dans ses nombreux textes que, comme plusieurs militants de la gauche, je ne suis pas un expert en économie et des lois du libre-marché. Mais j’en connais suffisamment pour être très inquiet du comportement des entreprises pharmaceutiques et je suis convaincu que des instances neutres, dirigées adéquatement par les gouvernements, doivent surveiller et règlementer les activités de ce secteur. Je ne comprend pas pourquoi on rejette l’idée de Pharma-Québec du revers de la main. Comment peut-on être contre le principe de négocier avec les manufacturiers de médicaments afin de réduire les coûts du système de santé?

Comme le mentionnait l’économiste John Kenneth Galbraith en s’adressant aux disciples de Milton Friedman : « …nous vivons une époque où les allégations d’incompétence publique vont de pair avec une condamnation générale des fonctionnaires, à l’exception, on ne le dira jamais assez, de ceux travaillant pour la défense nationale. La seule forme de discrimination toujours autorisée – pour être plus précis, encore encouragée – aux Etats-Unis est la discrimination à l’endroit des employés du gouvernement fédéral, en particulier dans les activités relevant de la protection sociale. Nous avons de grandes bureaucraties d’entreprises privées, regorgeant de bureaucrates d’entreprise, mais ces gens-là sont bons. La bureaucratie publique et les fonctionnaires sont mauvais… »

J’imagine que M. Galbraith n’y connaît rien en économie de marché…


La version originale de cet article a été publié sur Un Homme En Colère et Cent Papiers.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Oui, l'industrie pharmaceutique est malade de son appétit de profits. Pour réussir à générer un taux de rendement après impôts sur le capital investi de 29% en moyenne (1996-2005), les pharmaceutiques comme Pfizer, Johnson & Jonnson,GlaxoSmithKline, Novartis, Roche Group, Abbott Laboratorie, Merck, Bristol-Myers Squibb, Wyeth et Eli Lilly ont dépensé plus en marketing qu'en recherche (Presse canadienne, janvier 2006). Elles ont aussi investi dans des recherches moins coûteuses qui consistent à changer une simple molécule sans réelle importance d'un médicament de façon à prolonger indument la durée de protection des brevets pour contrer les copies moins onéreuses pour les acheteurs.
De plus , les pharmaceutiques se sont avérées très généreuses envers leurs actionnaires leur versant, pour la même période, plus de 300 milliards$ dont 188 sous forme de dividendes et 129 sous forme de rachat d'actions soit 77% des profits réalisés ce qui est une proportion très élevée et ne servant qu'à des stratégies de spéculation des actionnaires et des dirigeants.
Il faudrait effectivement un Pharma-Québec pour leur brocher l'estomac.