vendredi 21 mars 2008

La courroie des ambitions

Ce matin, comme à l’habitude, j’ai eu le privilège d’apercevoir l’authentique sourire de Nadine. C’est maintenant un rituel presque nécessaire, j’ai toujours hâte de commander mon café matinal au Van Houtte de la Place des Arts et de lui échanger quelques mots. Même si elle se lève très tôt pour prendre soin de sa petite fille de trois ans qu’elle doit également aller reconduire à la garderie, Nadine affiche toujours cette fraîcheur matinale et son inlassable joie de vivre.

En plus de ce travail qui l’occupe tous les matins de la semaine, Nadine fréquente le Cegep car elle a l’intention de devenir infirmière. Avec un salaire de $165 par semaine - incluant pourboires - et un prêt obtenu du ministère de l’éducation, elle réussit à peine à rejoindre les deux bouts. De temps à autre, elle reçoit un peu d’argent de son ex-conjoint et de ses parents, ce qui l’aide à boucler les fins de mois. Pour Nadine, l’augmentation du salaire minimum à $10 et le gel des frais de scolarité ne sont pas un luxe. C’est nécessaire et primordial.

Elle sait que je suis un passionné de politique et elle évite de s’engager sur le sujet. Ce matin fut quelque peu différent. Elle était tout simplement choquée d’apprendre que Mario Dumont recevait une prime de $50,000 depuis qu’il est devenu chef de l’opposition. Elle lui a fait confiance l’an dernier car elle a cru au changement. Comme beaucoup de ses concitoyens, elle était convaincue que Mario et son parti allaient représenter le monde ordinaire au sein du gouvernement.

Je lui rappelle qu’il n’est pas le seul à avoir été embarassé par cette nouvelle, que le premier ministre Charest recevait également un salaire de son parti. Elle me répond alors que c’est moins surprenant de la part d’un libéral après tout ce qu’on a entendu lors des audiences de la commission Gomery. Elle était cependant estomaquée d’apprendre que Mario, un gars des régions, grand défenseur des familles et des libertés individuelles, profite des ristournes du Directeur Général des Élections pour ajouter une telle somme à son salaire, totalisant ainsi une rénumération de plus de $200,000… Avant d’obtenir ses 41 sièges, 30% du vote et le statut d’opposition officielle, l’ADQ n’avait pas un sou. Maintenant que le parti reçoit une bonne allocation de l’État afin d’en assurer son fonctionnement, on décide d’en donner une bonne partie à son chef… Qu’est-ce qu’un parti peut bien faire avec plus d’un demi-million par année?

Nadine me confie qu’elle savait qu’elle gagnerait $7.25 de l’heure en acceptant son travail et que Mario, bachelier en économie, connaissait exactement la rénumération qu’il recevrait en tant que député. Elle ne comprend tout simplement pas pourquoi son salaire lui est insatisfaisant aujourd’hui. Que s’est-il passé dans la vie de Mario pour qu’il vise maintenant une rénumération aussi élevée? Son épouse a quitté son emploi? Ils ont pris une deuxième hypothèque sur la maison ancestrale? Nadine se console un peu en demeurant confiante que l’ADQ continuera le combat pour hausser le salaire minimum, suite au dépôt de la pétition qui fut déposée par le député Éric Charbonneau en décembre dernier. Je lui répond bien timidement que j’en doute.

Comme bien d’autres québécoises et québécois, Nadine ne fait plus confiance aux politiciens. Et elle ne votera sûrement pas pour Mario aux prochaines élections. Pour elle, le parti libéral et l’ADQ c’est du pareil au même. L’ambition personelle paraît plus importante que le bien commun. Elle me confie qu’elle a récemment lu son bouquin et qu’elle le rebaptiserait : « Avoir la courroie de ses ambitions ». À mon tour de lui laisser un sourire. J’ai déjà hâte de la revoir demain…

Cette histoire est basée sur des faits réels. Seuls quelques détails ont été ajoutés ou modifiés afin d’en faciliter la compréhension. Publié sur Un Homme En Colère le 13 mars 2008. Photo: Flickr – reidmix

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cela m'émeût si peu. La naïveté des gens ne m'étonne plus. Mario, le gars du «vrai monde» n'est rien d'autre qu'une supercherie. Incapable d'expliquer comment il pourrait réaliser ses promesses, il sert de baume aux gens qui croient que d'autres puissent être élus pour régler leurs propres problèmes. Et après il se disent déçus. Ce qui me déçoit, ce sont leurs désopilante naïveté. Peut-être ne méritent-ils que cela finalement.

Accent Grave

cabachand a dit…

À Accent Grave : Personnellement, ce qui m'inquiète le plus avec M. Dumont, ce n'est pas son incapacité à réaliser ses promesses, c'est justement la teneur de ses promesses. Comme je trouve étrange que l'on se plaigne du fait que M. Charest n'a pas su réaliser l'ensemble de ses promesses. Je crois en effet que nous devrions plutôt nous en réjouir! La réingénérie de l'État a fait des dommages importants à ce qui est l’outil le plus important que nous ayons pour prendre des décisions collectives. Les idées de M. Charest allaient cependant beaucoup plus loin que ce qu'il a réussi à réaliser.

Au sujet de Nadine, il est en effet bien dommage que non seulement les gens se laissent ainsi berner par un discours qui semble novateur (alors qu’il date de plus d’un siècle), mais qu’en plus, une fois qu’ils réalisent s’être fait berner, ils lancent l’éponge. Qui pourrait leur en vouloir ? Il demeure que tous les politiciens ne sont pas identiques et que leurs idées diffèrent grandement ! J’avais commis un texte dans le LeDevoir le 22 juin 2004 qui défendait les propos du néo-démocrate Jack Layton qui avait alors soutenu que les politiques du Parti libéral avaient causé le décès de sans-abris. À l’époque le commentaire de M. Layton avait créé un tollé. Pourtant, si le système politique canadien remet tant de pouvoir entre les mains de quelques personnes, c’est justement pour qu’ils prennent des décisions et qu’ils soient responsables des conséquences de celles-ci ! La responsabilité ministérielle n’existe pas depuis bien longtemps, mais elle demeure un acquis. De nier que les décisions prises par nos politiques n’ont pas de conséquences (comme dans le cas du décès des sans-abris), c’est alimenter ce cynisme justement de nos concitoyens.

Or, l’idée que les politiciens sont tous pareils est fausse ! Et il est impératif de la présenter comme telle. Imaginons quelques instants que M. Stephen Harper ait été au pouvoir en 2003, lors de l’offensive états-unienne en Irak. Le Canada serait sans aucun doute en Irak à l’heure actuelle (en plus d’être en Afghanistan). De même, imaginons que M. Bush n’ait pas gagné ses élections de 2000. Il est indéniable que le monde serait complètement différent !

Le pouvoir que nous remettons aux politiciens est réel ! Ils doivent être tenus responsables des décisions qu’ils prennent. Et il est impératif que, justement en raison du système politique dans lequel nous vivons, nous choisissons nos politiciens non pas par frustration ou en raison d’un attirant discours, mais des décisions qu’ils prendront et des conséquences qu’auront leurs décisions non seulement sur nos vies (comme les sacro-saintes baisses d’impôts), mais aussi sur celles de nos voisins immédiats (heureuse cette voisine qui recevrait un chèque mensuel pour ses enfants, mais serait incapable de leur trouver une place en garderie) ou éloignés (heureux cet Afghan qui voit sa fille assassinée par les troupes canadiennes).

Il est des politiciens qui sont conscients de leurs responsabilités et qui cherchent réellement à améliorer les conditions de vie du plus grand nombre. Le cynisme ne les aide cependant en rien à prendre le pouvoir dont ils ont besoin pour mettre appliquer les idées qui nous aideront tous et toutes!